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j’ai egalement le souvenir du petit train … interlude
Par Anonyme, le 10.10.2025
c'est bien
Par Anonyme, le 28.02.2025
wow
Par Anonyme, le 28.02.2025
magnifique chanson que je n'avais jamais entendu bravo mireille et bravo à notre regretté jean-marie gros biso
Par patricia93, le 08.02.2025
bien
Par Anonyme, le 20.01.2025
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Date de création : 24.01.2011
Dernière mise à jour :
25.10.2017
828 articles
Le manoir du Breuil
FRANCOISE SAGAN
Le manoir du Breuil est une des deux ou trois préfectures de mon existence.
Quand vous êtes arrivé à Pont-l’Evêque, ne prenez pas la route de Deauville, mais celle de Honfleur. A quatre kilomètres de cette petite ville qui passe pour charmante avec son vieux port, sa Commanderie, et qui l’est sans doute, vous tournez subitement à gauche. Si j’étais un guide honnête ou malicieux, j’esquisserais un de ces croquis dont Stendhal dans sa Vie d’Henry Brulard aime à parsemer ses souvenirs. Mais vous savez comme sont les reines et leurs fous, tout en adorant que l’on parle d’eux, ils ne tiennent pas à ce que l’on laisse des papiers gras, des mégots sur leur pelouse. L’allée qui mène au manoir est d’ailleurs, avec sa double rangée d’ormes, superbe. Presque trop belle pour la maison. Ce qui nous fait dire, chaque année, et lorsqu’il y a des oreilles nouvelles, que certainement, il y a très longtemps, à la place de cette bâtisse quelque peu délabrée, comme écailléepar l'âge, il devait y avoir un château. Je ne sais pourquoi, c’est Jacques Chazot qui tient tant à cette idée. C'est lui aussi qui a découvert dans les Souvenirs de Sacha Guitry que ce manoir avait appartenu à son père, le fameux Lucien. Autant dire que tous les amuseurs de la fin du siècle dernier ont dormi là. Ces horribles hommes de théâtre, ces horribles poètes, ces misérables romanciers : Capus, Catulle-Mendès, Franc-Nohain, Duvernois, le Goncourt qui n’est pas mort jeune et fou. Pour sauver les lieux, Tristan Bernard et Jules Renard. Et Flaubert, pourquoi pas ? Nous agitons ces noms devant les yeux émerveillés de journalistes, avec un contentement proche de la béatitude.
C’est comme si de ce shaker allait sortir en 1965 un chef-d’œuvre, sans que nous eussions un mot à écrire. Où Sacha Guitry galèje - puissance de l’imagination enfantine -, c’est lorsqu’il parle du confort du Breuil, de ses nombreuses salles de bains, chose rare à l’époque. En fait, le 1er juillet 1959, en cette nuit fameuse où Françoise Sagan, accompagnée de sa fidèle et blonde amie d’enfance, Véronique Campion, et de moi qui fermais la marche, entra pour la première fois dans ce manoir seulement éclairé par une bougie que tenait à l’étage un octogénaire colérique et arménien, vêtu d’une chemise de nuit à l’ancienne, colérique de nature et rendu plus colérique que nature parce qu’il l’attendait pour l’inventaire de la maison à dix-neuf heures pile et qu’il était déjà deux heures du matin, je ne découvris, à l’aide d’une boîte d’allumettes, qu’une vétuste et profonde baignoire Napoléon III largement évasée, qui fait encore mes délices, car je peux m’y ébrouer tout à mon aise alors que de jeunes personnes aux hanches étroites risqueraient de s’y noyer**.
Cet Arménien si chaud lapin - d’après Madame Marc - avait ravagé pendant plus de quarante ans les campagnes environnantes si propices à ses desseins et même aujourd’hui, disait-elle… Ce successeur de Lucien Guitry, ce petit homme sec, et si fort en gueule, la nuit de notre arrivée, devint notre terreur l’année suivante. Notre amie s’étant décidée à l’unanimité à acheter cette maison, quand il voulut savoir pour un oui ou pour un non, et quel que fût le temps, si nous tenions à garder et à acheter cette glace biseautée, cette lampe incomparable, cet ignoble fauteuil, ces bronzes. Il nous forçait à nous cacher à huit ou dix dans la même chambre ou, toujours pour l’éviter, à passer d’une pièce à l’autre comme dans les meilleurs ou les plus détestables vaudevilles. Seuls les travaux destinés à faire venir l’eau de la ville au manoir, qui transformèrent, un temps, allées et prairies en tranchées, eurent raison de lui et de ses offres. Quelques jours encore, on le vit trébucher d’un boyau à l’autre, la valise à la main, un mouchoir rose sale couvrant son petit crâne nu, se relever en grognant d’incompréhensibles injures sous nos regards hébétés. Une bonne âme le transporta à la gare la plus proche, le déposa, immobile, sur une banquette en bois ; on ne le revit plus, sans doute à jamais perdu dans cette vaste Normandie si riche en trains départementaux qui s’arrêtent en pleine campagne. Cet hommage serait incomplet si je ne signalais que c’est à lui que le Breuil doit l'ajout sur ses derrières d’une immense pièce convexe avec terrasse en béton. J’aime bien ces pièces qui défigurent l’extérieur des maisons, suscitant les commentaires amusés du visiteur et où, finalement, on peut installer un ping-pong : ce qui fut fait.
Longtemps, je me suis demandé pourquoi Françoise Sagan avait choisi la Normandie, elle qui, d’après les journaux qui, pour une fois, coïncidaient avec ses propres commentaires, n’aimait, à l’exception d’un Paris domestiqué, que le soleil, les longues étendues, ces pauses profondes coupées de diableries nocturnes. Ce dont je me souviens, c’est de cette sorte de conférence de presse qu’elle me tint de retour de Gassin où nous avions bu, à la Pentecôte, un nombre incalculable de dry, et où il était dit que la Côte, l’été, ça n’était plus tenable. D’ailleurs le Midi avait toujours été néfaste pour ma santé. Elle avait trouvé une maison superbe en Normandie. Tout ce que tu aimes. Le confort. Des couloirs. Une ribambelle de chambres avec de vieux meubles. Des arbres. Des prairies douces pour le cœur. Des pluies-miracles, produits de beauté, comme issues des laboratoires d’Elizabeth Arden. Des haras. Des chevaux tranquilles. C’en était assez des shorts, des Vachonneries en tout genre. Nous nous enrubannerions désormais de Rothschild, de smokings, de longues robes du soir. Et puis, entre chien et loup, nous marcherions en suivant les allées cavalières qui dominent la mer, la vraie mer. Ah ! Le beau rêve. Aussitôt que le manoir du Breuil fut à elle, Françoise Sagan connut les joies et les déceptions que suscite la révolution dans un pays sous-développé : bonds en avant, pauses, désagrégation, autocritique, on liquide, second souffle. On ne veut rien sacrifier. Que tout arrive en même temps, la beauté, le confort, le nécessaire. La peinture et l’eau à gogo. La moquette et le mazout. Les antiquaires et la lampe de chevet. L’exquis champagne du matin et les quatre heures de travail par jour, le casino la nuit entière et les studieuses lectures.
L’ennui, c’est qu’en Normandie moquette et peinture fourmillent. En un rien de temps, vous êtes à Paris. Un Paris que vont bientôt ravager les chiens, les bottes, les conduites d’eau récentes. Les paisibles cigales, qui, l’été, se félicitaient si fort d’avoir si vite mis à la porte l’odieuse nature, vont découvrir l’hiver venu une maison dévastée par ce tremblement de terre qu’est l’installation du mazout. A peine la terre s’est-elle refermée que c’est le ciel qui menace. Le toit se meurt. Le toit n’est plus. Des chambres du second étage une eau rouillée dégouline. Adieu moquettes, adieu peintures. On découvre avec stupeur le prix d’un toit. C’est la fin du champagne. C’est à ce moment-là que l’on commence à comprendre les contradictions économiques de certains pays. La compassion s’empare de notre âme pour cette chère Russie avec ses spoutniks de première et son impossibilité d’obtenir une récolte de blé convenable.
Maintenant tout semble apaisé. L’esprit du manoir se laisse définir. L’amour est proscrit. Et les vives conversations littéraires. Et les autres. On accepte les cœurs blessés, les bourses vides. On nourrit les uns. On console les autres. Mais on n’aime pas les insistants. Ici, il ne vous arrivera rien, mais taisez-vous. Tant de belles dames et de beaux jeunes hommes ont défilé que tout se confond. Il y a des crises mais sur des points qui ne comptent pas. On a voulu refaire l’enfance. Pas la refaire, qu’elle dure. Et sans se faire remarquer. Voler aux bourgeois leur mode de vie sans les problèmes qui les préoccupent tant : la vie par exemple. Et l’argent. Les personnes qui viennent encore, je ne sais plus si on les considère comme bien réelles. Le sourire du chat, l’ombre de son sourire, les accueille. Elles sont vouées aux mots ou à l’oubli.
Vogue, année de La Chamade, 1965
Bernard Franck
** Elle n’existe plus (1996)
N.B. - Cette chronique, signée Bernard Franck, figure dans le livre "En soixantaine", publié chez Julliard
Facile à dire, j'étais avec une amie l'an passé en Normandie et nous envisagions de partir sur les traces de Françoise Sagan, hélas! notre mission se révéla impossible, nous n'avons jamais réussi à découvrir ce manoir.
Restent les souvenirs de ses écrits...
Oh ! Mon petit poisson d'argent, lorsque tu retourneras en Normandie, tu chercheras encore et encore. Et tu finiras bien par le trouver ce manoir du Breuil ! Il y a deux ou trois autres chroniques de Bernard Franck, dans le livre intitulé "En soixantaine", qui évoquent Françoise Sagan, Deauville, la passion du jeu... Je crois que je les publierai, ne serait-ce que pour toi, sur ce blog. Mais, en attendant, n'oublie pas, hein ! Lorsque tu arriveras à Pont-l'Evêque, il ne faudra pas prendre la route de Deauville. Il faudra prendre la route de Honfleur !
Automnale
http://escapadeautomnale.centerblog.net
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