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GEORGES GUIGOU - LE CABANON DE MON PERE

Publié le 09/06/2013 à 11:53 par escapadeautomnale
GEORGES GUIGOU - LE CABANON DE MON PERE

Gilbert Thomas - Barques de pêche au port de Sormiou

Peinture sur planche de bois - 80 cms X 50 cms

 http://gilbthomas.blogspot.fr/

 

 

LE CABANON DE MON PERE

 

 

Il n'était pas peu fier mon père ce jour là,

 

j'avais alors dix ans et ne comprenais pas

 

qu'il se mit à pleurer en embrassant ma mère

 

en brandissant bien haut la lettre d'un notaire.

 

Puis il nous fit asseoir moi, ma soeur et mon frère

 

dans la salle à manger et solennellement,

 

sans même avoir ôté son chapeau de la tête,

 

tout en restant debout il sortit ses lunettes

 

et de sa belle voix nous lut le document.

 

En avait-il rêvé pendant quatre ans de guerre,

 

quatre ans dans les tranchées, de quatorze-dix huit,

 

à l' Ecole Normale pour devenir instit

 

et plus tard tous les jours : être propriétaire,

 

rêve des marseillais, d'un petit cabanon

 

à la mer, à Sormiou ? Il bénissait la chance

 

qu'à la mort de Vincent, ami de son enfance,

 

sa veuve handicapée ait pris la décision,

 

d'abandonner son bien et contre toute attente,

 

étant sans héritier, de le mettre à la vente.

 

 

 

 

J'avais le souvenir d'y être allé souvent,

 

invités par Vincent, pour une bouillabaisse

 

ou pour un aïoli. Il n'était pas très grand

 

et il ne comportait que deux petites pièces,

 

soit disant la cuisine, un évier, un fourneau,

 

l'autre un peu fourre-tout au confort discutable,

 

un matelas au sol, des chaises, une table,

 

accrochés à des clous des gilets, des chapeaux

 

et sur une étagère une lampe à pétrole,

 

des verres, des couverts, de vielles casseroles,

 

avec au milieu la bouteille de pastis.

 

Un portique devant recouvert de cannisses

 

et de chaque côté, à droite un cagibi

 

pour l'attirail de pêche, une voile et des rames,

 

à gauche un grand tonneau pour recueillir la pluie.  

 

 

 

Pas un seul étranger de Lyon ou Paname,

 

à cette époque là ne connaissait Sormiou,

 

calanque réservée au peuple de Marseille,

 

à quelques promeneurs, à des pêcheurs surtout,

 

un coin de paradis, une pure merveille.

 

Une large échancrure entourée de rochers

 

tout comme si la mer voulait s'y reposer

 

Lisse comme un miroir, une mer transparente

 

que seul un grand Mistral peut rendre frissonnante

 

Mon père était pressé et dés qu'il eut la clé

 

il nous y amena comme s'il s'agissait

 

de la première fois. Etre propriétaire

 

pour un instituteur, fils d'un père ouvrier,

 

avait certainement de quoi le satisfaire.

 

 

 

 

Alors, chaque dimanche, on prenait le tramway

 

de Saint Pierre à Mazargues, le reste était à pieds,

 

mon père, en éclaireur, imprimait la cadence,

 

il fallait plus d'une heure avant d'y arriver.

 

Devant nous la calanque, un havre de silence,

 

à gauche de la plage était le cabanon

 

déjà ensoleillé par les premiers rayons.

 

 

 

 

Et bien qu'il leur parlât d'une manière affable

 

mon père était traité un peu comme un notable,

 

les femmes, les enfants et aussi les pêcheurs

 

n'employaient que des mots empreints de déférence :

 

'' bonjour M. Joseph, M. l'instituteur '' 

 

Il y avait entre eux comme une connivence,

 

mon père distillait les fruits de sa science,

 

alors que les voisins, tous de vrais pescadous,

 

lui faisaient partager leur immense expérience.

 

Mon père allait pêcher, quelques fois avec nous,

 

que ce soit sur le bord, ou, notre préférence,

 

que ce soit en bateau sur le pointu d’Henri.

 

Pas une seule fois il revenait bredouille

 

et nous avions toujours du poisson à midi

 

accompagné des plats que, tous les samedis,

 

ma mère cuisinait pour nous et son mari,

 

ce que j'aimais surtout c'était sa ratatouille.

 

 

 

 

Mais avant le repas, c'était la tradition,

 

nous nous réunissions, tous ceux des cabanons,

 

soit chez l'un, soit chez l'autre, à l'ombre des canisses,

 

un instant convivial, pour boire le pastis,

 

pour tous ces marseillais la boisson favorite,

 

mais pour nous, les enfants, c'était de l’ « Antésite ».

 

 

 

 

Le repas terminé le calme revenait,

 

cabanons volets clos et portes entrouvertes,

 

nos amis les pêcheurs piquaient un penequet.

 

Nous autres, les enfants, nous allions nous baigner,

 

avec nos chambr's à air, sur la plage déserte.

 

Comme si un clairon les avait réveillés,

 

à trois heures pétant's on voyait tous les hommes

 

sortir des cabanons, rejoindre ce terrain

 

assez plat que mon père appelait « boulodrome »,

 

frais comme des gardons, leurs boules à la main. 

 

 

 

 

C'était l'instant sacré de jouer à pétanque,

 

ce que j'en ai appris, dans un climat jovial,

 

des gros mots, des jurons, toujours en provençal,

 

cela jusqu'au moment de quitter la calanque.

 

 

 

 

 

Jusqu'en 42, très peu de changement,

 

ma soeur, moi et mon frère y allions moins souvent,

 

le lycée, les copains, les surprise-parties,

 

quand nous nous y rendions mon père était ravi.

 

Mais quand les Allemands envahirent la France

 

en descendant au sud jusques à la Provence,

 

mon père en fit son deuil, il n'en dit plus un mot

 

et quand mon frère ainé partit au S.T.O.

 

il se mit à flirter avec la résistance.

 

 

 

 

Cinquante ans ont passé, mon père est décédé,

 

ma mère l'a suivi, nous avons hérité

 

du seul bien que mon père ait jamais possédé.

 

Ma soeur vit au Japon, mon frère en Angleterre,

 

moi, je suis à Paris professeur de français.

 

Alors j'ai profité des vacances scolaires,

 

en cette fin de juin, avec mes deux enfants

 

nous avons déposé des fleurs au cimetière

 

à Mazargues, tout prés de l'endroit où, avant,

 

nous prenions le chemin du rêve de mon père,

 

je l'aurais fait à pieds mais mes fils autrement :

 

« Papa, vois ce panneau, on le peut en voiture »

 

Qu'importe, me voilà au seuil du cabanon,

 

peintures effacées, toiture à l'abandon

 

mais en me retournant, bijou de la nature,

 

la calanque aux eaux bleues, elle, n'a pas changé,

 

c'est la population qui, loin d'être la même,

 

envahit les sentiers, la plage, les rochers,

 

visiteurs éblouis, touristes étrangers.

 

Ah, qu'elle est loin d'ici notre vie de bohème!

 

 

De retour à Marseille, un tour sur le Vieux-Port,

 

un coup d'oeil attendri à notre Bonne Mère,

 

mon frère, moi, ma soeur nous étions tous d'accord,

 

j'étais mandaté pour signer chez le notaire,

 

quand je me suis trouvé, seul, sur la Canebière

 

et devant l'écriteau « Agence immobilière »

 

j'ai eu le sentiment d'avoir trahi mon père.

 

 

 

Georges Guigou  

 

 

 

Commentaires (11)

moltaldocompo le 09/06/2013
j'habite bonneveine aujourdhui qui se situe a une dizaine de km de sormiou environ , mais je suis né à "la cayolle", le dernier quartier avant d'entamer la côte du col de sormiou ; ce qui fait que je connais très bien cet endroit là pour y avoir vécu une grande partie de mon enfance ... bon je vais éviter les détails sinon , je devrais écrire un livre ... juste pour dire que je connais une personne retraité : Son père avait prêté son cabanon de sormiou à un ami pendant une longue période et ... ne lui a jamais rendu ! c'est qu'avant
, durant la période d'avant guerre , il n'y avait pas forcement d'acte de propriété et voilà quoi ; je veux dire , les propriétaires ne sont pas forcement tous légitimes ! ...
Patrick M
http://moltaldocompo.centerblog.net


lucasjl le 09/06/2013
C'est émouvant au possible..
L'histoire des gens humbles et celle du pastis...
pour les enfants c'était de l'antésite (il y en a encore)

"Le chateau de mon Père"
un cabanon parfois est plus beau qu'un palais.
http://youtube+lucasjl.centerblog.net


André le 09/06/2013
Bonjour Escapade,

Je connais un Guigou, sans savoir son prénom; mais il n'est pas poète,en lettres tout au moins, car il l'est en images. C'est un peintre provençal du 19ème siècle.
Quelques mots m'ont particulièrement frappé dans ce texte:
"Bonjour M.Joseph, M.l'instituteur" Monsieur l'instituteur; la profession était respectée, aujourd'hui on leur tappe dessus !
Je me refuse pourtant à cultiver la nostalgie, mais ..."Tout fout le camp" a chanté Mouloudji.

Je te souhaite une bonne semaine, avec un amical bizou.

André

http://peinturamat.centerblog.net


leschansonsdejm le 09/06/2013
Un texte plein de belle tendresse, bravo et merci à Georges !

Sormiou, Morgiou, Sugitton, les jolies calanques de Marseille...

C'est tout près de chez moi et nous allons souvent nous y promener,
avec plaisir !

Merci Automnale !

JM
http://leschansonsdejm.centerblog.net


GUIGOU le 10/06/2013
à André: il s'agit de Paul Guigou (1834-1871)un excellent peintre provençal ami et disciple de Monticelli dont le tableau le plus connu est ''La Lavandière'' au Musée d'Orsay
à Les chansons: quelle chance d'habiter près de Sormiou !
à Multadocompo:vous êtes né à la Cayolle et vivait à Bonneveine, je suis né à Mazargues, 26 rue Ramiel
comme on se retrouve
Georges


Anonyme le 11/06/2013
Quel beau texte, plein de nostalgie...
J'ai envie de dire comme je l'entendais autrefois :"c'était le bon temps", mais .... hélas cette fois c'est vrai ...
Tatiana.


escapadeautomnale le 11/06/2013
On se croirait sur un blog provençal ici ! Peut-être, en partie, à cause de mon prénom qui attire les Provençaux comme des mouches ! Ou, plus exactement, ce sont les Provençaux qui, depuis la nuit des temps, me séduisent. Il sont, en effet, irrésistibles...

Merci, Georgio, pour cette charmante escapade, très colorée, dans la calanque de Sormiou. J'aime beaucoup ce genre de texte, très vivant et teinté d'émotion. Certes, comme nous vous connaissons un tout petit peu à présent, il convient de ne pas penser à une autobiographie de votre part... Mais il doit bien y avoir, dans cette histoire de cabanon, un peu de vous...

Patrick, né à La Cayolle, tu as bien de la chance de résider à dix kilomètres de Sormiou... Et toi JM, qui habites tout près également, tu as de la chance de te te balader dans les calanques de Morgiou, de Sugitton (j'adore les noms !).

Je suis d'accord avec toi, Jean-Louis, ainsi qu'avec Marcel Pagnol, un cabanon semble parfois plus beau qu'un palais... Et ce n'est pas Tatiana, lorsqu'elle chante (bien) "Un petit cababon, pas plus grand qu'un mouchoir de poche, un petit cabanon, au bord de la mer sur les roches..." qui nous dira le contraire.

Grâce à notre ami André, et à Georgio bien sûr, je vais, de ce pas, aller découvrir les peintures de ce Paul Guigou que je ne connais pas...

Et vive la belle Provence !

Automnale
http://escapadeautomnale.centerblog.net


cyclisme31 le 13/06/2013
Bonsoir Escapade
Merci à toi , d'avoir diffusé ce texte , que j'ai lu
avec grand plaisir , merci à tous pour les commentaires
qui enrichisse ma connaissance de Culture
bonne soirée , Amicalement Patrick D
http://cyclisme31.centerblog.net


escapadeautomnale le 17/06/2013
C'est nous qui te remercions, cher Patrick, d'être passé au cabanon ! A propos, il y a un documentaire sur les calanques qui est programmé ce lundi, à 20 heures 45, sur France 3. Nous y verrons certainement le cabanon de Georgio, ainsi que Sosso, JM et Patrick le marin, crapahutant ou bronzant !

Automnale


http://escapadeautomnale.centerblog.net


escapadeautomnale le 22/06/2013
Je viens de regarder à l'instant, à la télévision sur TF1, un reportage, très bien fait, sur les cabanons de Sormiou et de Marseilleveyre... J'ai pensé à mes amis Marseillais : Georgio, JM, Patrick... Comme cela doit être gai là-bas... On nous a montré la façon de préparer la bouillabaisse... Bouillir et baisser, conseillait un vieux cabanonnier, et, pour le goût de l'anis, ajouter du fenouil... Il y avait une dame qui prononçait non pas maquereaux, mais ma-queeee-reaux... J'ai entendu le chant des cigales... J'ai vu l'eau, à Marseilleveyre, que l'on sortait du puits car, au cabanon, il n'y a pas l'eau courante... Oh ! Je ne sais plus trop quoi encore, mais il y a deux ou trois petites boutades qui m'ont amusée... Ah ! Oui, un autre cabanonnier précisait bien que les sardines étaient de Marseille, que ce n'était pas des étrangèreeeees de Bretagne ! Un pêcheur du dimanche disait à son copain que, pour que le poisson se laisse pêcher, il convenait de lui sourire... Ah ! Oui, il doit faire bon vivre là-bas, même si Sormiou me semble quand même un peu envahi...

Automnale
http://escapadeautomnale.centerblog.net


noeldutregor le 02/10/2016
Je me suis promené dans les Calanques dans les années 75/78. Et quelques larmes à la lecture de ce magnifique texte. P... de souvenirs


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