L'ARA BLEU

Il avait dit :

« Mes sœurs, nous partons en voyage

Et ne pouvons emmener notre ararauna.

Il vous connaît un peu,

Aime les babillages,

Les chœurs de l’armée rouge,

Les grands airs d’opéra. »

C’est ainsi que Fifi,

Joli psittacidé,

Œil jaune acidulé,

Plumes ébouriffées,

Rémiges facétieuses,

S’installa, tel un roi,

Parmi les religieuses.

Les sœurs, aux petits soins,

Cajolaient la bestiole,

Lui chantaient « Kalinka »,

Parfois « La Traviata »,

Le bénédicité, même la carmagnole,

« La Tosca », des cantiques,

Refrains de la Volga.

Le perroquet, goguenard,

Se moquait des crécelles.

Une chose l’intéressait :

Leur fausser compagnie.

Au moment où l’une d’elles remplissait sa gamelle,

Il quitta les barreaux, le parloir,

Tout le fourbi.

Il s’installa, peinard,

En haut d’un vieux pommier,

Avec vue imprenable

Sur les chambres des nonnes.

La nuit, il imitait la voix de l’aumônier,

Effrayait les saintes femmes,

Les traitait de poltronnes.

Celles-ci le suppliaient

De descendre ici bas,

Proposaient du maïs, manioc et grains de riz,

Pratiquaient l’espagnol,

Langue de Panama,

Evoquaient les savanes,

Les jungles de son pays.

  Mais Fifi prenait goût

Aux fruits et aux suppliques,

S’amusait comme un fou,

Criait : « Bénissez-nous ! »,

Jouait à l’hypocrite, inventait des mimiques,

Tandis que braves nonnes

L’imploraient à genoux.

Or, la rentrée des classes

Approchait à grands pas,

Et l’ara bleu turquoise

Vit, un jour, arriver

Des jeunes filles en fleurs, aux cheveux mimosa,

Aux pommes de reinette

Pointant étrangement.

Il devenait urgent d’appeler

Les pompiers,

Qui arrivèrent, inquiets, avec la grande échelle.

L’oiseau de Panama,

Quelque peu perturbé,

S’envola à jamais,

Narguant les jouvencelles.

Si, au hasard des rues,

Vous croisez l’ara bleu,

N’oubliez, surtout pas, qu’il aime les babillages,

Les chœurs de l’armée rouge,

Les grands airs d’opéra,

Les pommes d’Armorique,

Les chants de la Volga.

Automnale