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REGINE DEFORGES - L'ENFANT DU 15 AOUT

Publié le 16/08/2014 à 19:12 par escapadeautomnale
REGINE DEFORGES - L'ENFANT DU 15 AOUT

 

  

REGINE DEFORGES

         « L’ENFANT DU 15 AOUT »

                  MEMOIRES

 

 

     Tout le monde connaissait l’auteur de « La bicyclette bleue » et de sa suite (« 101, avenue Henri-Martin », « Le diable en rit encore »….). Certains se souviennent de son tout premier livre « Blanche et Lucie ». D’autres continuent peut-être de considérer Régine Deforges comme « La papesse de l’érotisme »… Quant à son nom, il devint presque indissociable de celui de son amie, aux cheveux aussi rouges que les siens, la couturière Sonia Rykiel… Mais Régine Deforges, ce n’était pas simplement cela ! Loin s’en faut…

 

     Elle était née, un 15 août, à Montmorillon, petite ville du Poitou… Strictement rien, dans son enfance, dans son adolescence, ne la destinait à sortir du lot, à devenir célèbre, si ce n’est, déjà, son anticonformisme ajouté à un goût prononcé pour la lecture. Si ce n’est, également, son journal intime volé, livré en pâture…

 

     Il suffit de lire ses mémoires pour réaliser que Régine Deforges fut une femme d’exception. A-t-elle été sincère en écrivant son ultime livre ? Autant que possible, certainement. Sa vie fut riche, colorée, passionnante, trépidante. En voilà une qui ne regardait pas le train passer, qui ne restait pas les deux pieds dans le même sabot !

 

     Au gré de ses amours, nous la suivons, avec plaisir, de Montmorillon à Limoges, de Conakry à Paris, de Sain-Cyrq-Lapopie à Malagar, de l’île de Ré à La Havane, jusque dans un monastère… Elle nous confie, sur les chapeaux de roues, tant de choses ! Elle a rencontré tant de monde, de Jean-Jacques Pauvert, le père de sa fille Camille, à l’abbé Pierre, de Dominique Aury à Françoise Sagan ou à Régis Debray, de François Mitterrand au Dalaï-Lama ! Son compagnon, le père de sa fille Léa, fut le dessinateur Pierre Wiazemsky (Wiaz), prince et petit fils de François Mauriac.

 

    Régine Deforges a intensément aimé la vie…  Avec le poids des ans, des maux divers, disait-elle, l’attaquèrent de toutes parts. Son cœur a lâché le 3 avril 2014 (à peine un an après avoir terminé l'écriture de ses mémoires).

 

     Les 473 pages, relatant le parcours de cette intelligente, attachante, battante, atypique, insoumise enfant du 15 août, se dévorent en un temps record.

 

Le livre de Régine Deforges, « L’enfant du 15 août » - Mémoires - a été publié par les éditions Robert Laffont

 

Automnale

 

 

Juste avant le chapitre « Conclusion… Epilogue… Fin… », voici, copié ci-dessous, ce qu’écrivait, pages 469, 470, 471, Régine Deforges :  

  

 

« La nuit tombe. Je n’ai rien écrit aujourd’hui. Je feuillette mon journal. La couleur de l’encre change selon les jours. Sur ma table, les bustes de bronze des écrivains que j’aime, une photo de François Mauriac jeune, tenant un livre, une autre de ma petite amie Clara qui aura toujours onze ans… Ces livres qui m’entourent… leurs auteurs oubliés.

 

Ceux dont on ne sait plus le nom rendent accablant les après-midi de nos vacances du milieu de la vie : visages trop effacés pour qu’aucun trait en soit reconnaissable, ils se dessinent vaguement dans l’entrelacs des branches, ils remuent, ils respirent avec les feuilles et avec les dessins des rideaux. Peut-être est-ce la présence d’un petit-fils romancier et poète qui les attire et leur insuffle un espoir de survie ? En lui, ils remontent du gouffre, ils viennent respirer à la surface. Bien plus que l’histoire, la littérature est une résurrection. Car l’histoire ne fait pas revivre l’intime de l’homme, ni la vie secrète des cœurs, ou elle ne le fait qu’incidemment. Mais le cri qu’une arrière-grand-mère a retenu toute sa vie, au fond de la petite salle obscure du rez-de-chaussée sur la grand-place, se délivre enfin dans le récit écrit, bien des années après qu’elle est retournée en poussière, par un descendant qui croit se rappeler que le prénom de cette morte finissait par un A : Irma ou Adila ou Félicia… **

 

Comme François Mauriac dit bien ce que nous éprouvons quand nous feuilletons de vieux albums de photographies. Ici ou là on reconnaît tel visage, celui d’une tante, d’un oncle. Qui sont ces jeunes mariés ? Ces bébés nus sur une peau de mouton ? Ces enfants déguisés dont l’un d’eux me ressemble ? Qui est cette communiante serrant contre elle son missel ? De quand date cette photo de classe montrant des fillettes sérieuses ? Et cette autre d’une noce campagnarde ? Je suis seule maintenant à pouvoir mettre un nom sur ces époux, ce marin, ce militaire, cette communiante… Après moi, plus personne ne les nommera.

 

Je n’ai pas bien travaillé. J’ai regardé de vieilles photos, relu de vieilles lettres, consulté mon journal. Ce retour en arrière me fait peur. Qu’ai-je appris de la vie ? Que sont devenus mes rêves d’antan ? Où sont ceux que j’ai aimés ? Tous ces morts, déjà ! Pourquoi ai-je tant de mal à écrire ? Pourquoi ces millions d’exemplaires de  La bicyclette bleue  vendus à travers le monde, ces milliers de lettres me félicitant pour mon travail, pour l’exactitude de mes sources et des faits révélés, ne me rassurent-ils pas ? Dans quel état serais-je si mes livres ne marchaient pas ? pensent d’autres écrivains. Ils ont raison, bien sûr, mais, comment leur expliquer ? Un petit moteur s’est détraqué et n’arrive pas à se remettre en marche.

 

« Aide-toi, le ciel t’aidera », me susurre une petite voix qui est chassée par : « Demandez et vous recevrez ! ». Les ai-je souvent entendues, ces voix ! Du plus loin que je me souvienne, elles ont été présentes mais guère efficaces. Peut-être n’ai-je plus rien à écrire, que la source s’est tarie. Que le temps est venu pour moi de la retraite, de la méditation. Je sens un grondement monter dans tout mon corps… Retraite, mot que j’abhorre depuis toujours car il est signe d’acceptation de la vieillesse et de la mort ! J’ai toujours envisagé de travailler jusqu’à la fin. Que vais-je devenir si je ne le peux plus ? J’ai peur ! Si vous saviez comme j’ai peur ! Je porte tant de livres en moi ! Est-il possible qu’ils ne voient jamais le jour ? Qu’ils restent enfouis dans les replis de ma mémoire ? Devrais-je, comme tant d’autres, me replier vers l’autofiction dont je déteste l’apparente facilité ? Je n’ai pas d’estime pour ce genre et ceux qui en font leurs choux gras. Et puis rien ne me dit que je serais capable d’en faire autant. Pour cela, il faut se prendre au sérieux, chose que je n’ai jamais su faire. Affirmer haut et fort, que l’on est le meilleur écrivain de sa génération, que son style est inimitable, qu’on le reconnaît entre tous ! Vous me voyez jouer ce jeu stupide ? Je ne suis ni Jean-Edern Hallier ni Christine Angot. Je dois me contenter d’être moi : un écrivain populaire en panne d’inspiration.

 

Merde ! J’enrage. Ce n’est pourtant pas si compliqué de raconter sa vie.

 

A survoler ce cahier, ma vie, donc, j’éprouve des sentiments confus, contradictoires. La fille qui écrit est-elle aussi narcissique ? Aussi enfantine ? Sotte ? Inconstante ? Egoïste ? Courageuse ? Ecervelée ? Mauvaise mère ? Amoureuse ? Mondaine ? Snob ? Est-elle intelligente ? Sensible ? Honnête ?

 

J’ai peur de la découvrir opportuniste, intéressée, futile, sotte. Sans doute est-elle un peu tout cela… Ce cahier m’est-il utile ? Me servira-t-il en tant qu’écrivain, ou sera-ce un document de l’histoire littéraire, des mœurs d’une époque que l’on consultera avec amusement ? Je sais déjà que je veux le préserver. Fatuité ? Vanité ? Je n’en sais rien. Ces cahiers existent. Je ne veux pas les détruire ni que d’autres que moi y touchent comme aux cahiers de mon adolescence dont la perte, malgré leur inintérêt certain, m’est toujours une douleur. Quand grandit-on vraiment ?... »

 

Régine Deforges

 

« L’enfant du 15 août" - Mémoires

 

Editions Robert Laffont

 

 

** Journal et mémoires politiques, coll. « Bouquins », Robert Laffont, Paris, 2008